jeudi 31 janvier 2013

DANS LES PAS DE COUSINEAU (IV)


Voilà qui est fait : je viens de finir cette petite 22 cordes destinée à expérimenter ce système :


        Elle est donc équipée de 22 "perles" en bois qui font office de tendeurs : en faisant glisser la perle vers le haut, on augmente la tension suffisamment pour obtenir un demi-ton, voire plus dans les aiguës.
Apparemment ça fonctionne bien, en tous cas pour les cordes métal. Pour le nylon, mes longueurs de "course" des perles n'étaient pas suffisantes dans les graves.


 Du coup, cette harpe présente une autre originalité : elle ne comporte que des cordes filées ! J'ai en effet utilisé ce qu'on trouve le plus facilement, des cordes de guitare, filées bronze sur acier.
 Un avantage, on n'a pas l'effet de "décrochage" habituel quand on passe des cordes monofilament aux cordes filées.
 Le son est étonnant ! Grave, profond, très riche en harmoniques, avec l' effet de "cloche" caractéristique des cordes en bronze...

 Quelques critiques cependant :
 Les perles utilisées, issues de récup (ces fameux "appuie-dos" de voitures qu'on voyait partout dans les années 90...) sont un peu épaisses, trop pour les espacements entre cordes aiguës; j'ai été obligé de "tricher" sur l'inclinaison des dernières cordes pour caser mes "perles" :


 Autre point à améliorer : les longueurs de "pistes" pour les perles. J'ai utilisé des longueurs pratiquement identiques partout, alors que quelques centimètres de plus auraient été bienvenus pour les graves, et que quelques uns de moins pour les aiguës ne nuiraient en rien...

 Si l'on veut changer de tonalité en cours de jeu, il serait bon de tracer des repères pour obtenir exactement la même altération à chaque fois, ou mieux encore d'installer des "butées" (réglables) pour bloquer la course de la perle au bon endroit.

 Au total, un système très "low cost" et "low tech" (simple et pas cher ), susceptible de bien des améliorations, mais qui fonctionne ! Merci les luthiers indiens !


mardi 8 janvier 2013

LES LUTHIERS ET LEURS CLIENTS...


Un échange de propos un peu vif, pour une fois, sur le forum harpe celtique.fr, m'a donné envie de parler d'un sujet qui me tient à coeur : les relations entre facteurs de harpes et harpistes...

J'ai osé écrire : "tout le monde ne mérite pas une harpe de luthier"...pavé dans la mare ! Comment ? Tout le monde n'a pas le droit d'acheter une harpe de luthier ? Il suffit de sortir un carnet de chèques, et l'affaire est conclue ? Toujours le bon vieux réflexe petit-bourgeois, croire que l'on peut tout acheter avec de l'argent...ça marche, plus ou moins, chez Darty, aux galleries Lafayette ou à la limite chez Camac, qui s'est organisé pour produire des instruments de qualité tout en répondant à ce genre de demande. Et encore, les relations commerciales les plus "simples" ne le sont pas toujours.

Je suis le premier à m'inscrire en tête de liste de ce "tout le monde..." : je serais incapable d'attendre je ne sais combien de mois ou d'années un instrument, certes d'exception, mais certainement "trop bien pour moi" comme dans la chanson de Brel. Mes harpes, je me les fabrique moi-même, une construction amateur, sans prétention mais avec passion,  à mon usage de harpiste éternel débutant et plutôt maladroit...il m'arrive même de penser qu'elles mériteraient d'appartenir à quelqu'un de plus savant !

Non, il ne suffit pas d'avoir de l'argent pour acquérir une harpe de luthier !

Il faut déjà être au niveau, capable d'en apprécier toute la finesse, d'en exploiter toute la richesse sonore, "d'apprivoiser la bête" et de la dresser : offre-t on une Ferrari à un jeune qui vient d'avoir le permis ? Même les plus inconscients des nouveaux riches hésiteraient, ou alors, gare à la casse ! Une harpe de luthier est une bête de luxe, un pur-sang réservé aux cavaliers expérimentés.

Il faut ensuite faire preuve de la plus grande humilité devant l'homme (ou la femme !) de l'art, qui est capable, avec quelques bouts de planches, de créer une merveille, un instrument léger, réactif, bien équilibré, à la sonorité exceptionnelle...vas-y, essaye d'en faire une comme ça, Ducon ! Et surtout quand on a compris que beaucoup de ces artistes-là, au bout de nombreuses années d'étude et de pratique, ne gagnent guère leur vie, se payent des salaires de misère, moins que le mécano du coin . Aucun facteur de harpe n'achète de villa à Saint Tropez pour les vacances, ni de yacht pour aller faire l'imbécile aux Caraïbes. Quelques-uns arrivent à survivre en donnant des cours, ou grâce à une activité annexe, à une fortune personnelle, au salaire du conjoint...Beaucoup arrêtent au bout de quelques années, comme Léo Goas, qui pourtant faisait des harpes pour Alan Stivell (lequel le regrette bien!) ; il a changé de métier et ne veut plus entendre parler de harpes...

S'il est déclaré artisan, le luthier doit payer des charges : chères. Il y a le racket fiscal : honteux. Les outils à acheter et à entretenir, les matières premières d'excellente qualité, à des prix astronomiques...
Il va donc avoir tendance a prendre toutes les commandes qui se présentent, à les solliciter même; il faut ensuite le temps, les moyens, la santé nécessaires. Un grand artiste n'est pas forcément un bon gestionnaire, c'est même souvent le contraire ! On prend du retard, le client s'impatiente, engueulades, lettres recommandées, huissiers et tout le cirque.

Il y a les petits malins, qui contournent le problème en travaillant par exemple sous couvert d'une association, qui organisent des stages de construction pour luthiers amateurs, ou qui plus simplement font une harpe de temps en temps, au black, et pour un musicien complice...On se débrouille comme on peut !

Dans toute cette pagaille, je le dis et je le répète : le bon harpiste qui arrive à se faire construire un instrument par un grand luthier, et à rester en bons termes avec lui, celui-là, vraiment, sa harpe, il la mérite !